Coopération transfrontalière, sécurité de l’eau et jeux d’acteurs (Afrique du Sud, Swaziland et Mozambique)
par Verhaeghe Nicolas
sous la direction de David Blanchon (UPN) et Magalie Bourblanc (CIRAD)
Master 2
Année 2016-2017
Mots-clés : sécurité de l’eau, hydropolitique, political ecology, idéologie hégémonique, bassin versant transfrontalier, complexe hydropolitique d’Afrique australe, GIRE.
Résumé :
Le bassin versant du fleuve Incomati est situé dans la partie sud-est de l’Afrique australe et partagé par trois pays (Afrique du Sud, Swaziland et Mozambique) et abrite près de 2,3 millions d’habitants. D’une superficie de 46 700 km², cet espace semi-aride est marqué par une inégalité entre les trois pays riverains en termes de situation géographique, d’économie et de savoir-faire technologique. Caractérisé par une forte variabilité de son débit et une intense compétition entre les différentes demandes en eau, il s’agit d’un bassin en fermeture.
Jusqu’au début des années 1990, les réponses structurelles au problème de la répartition de l’eau étaient confinées aux frontières nationales. Toutefois, avec l’émergence des changements démocratiques dans les années 1990, le statu quo qui régnait dans le bassin versant s’est transformé en coopération mutuelle. Cette coopération s’est concrétisée par la conclusion de l’accord « Tripartite Interim Agreement on Water Sharing of the Maputo and Incomati Rivers (IIMA) » en 2002. Si cet accord constitue une véritable avancée, en garantissant un débit minimum au pays aval, le Mozambique, il reste fondé sur le postulat que davantage d’eau peut être sécurisée en augmentant la capacité de stockage.
Les conclusions de ce mémoire de recherche démontrent la mise en œuvre de l’IIMA repose sur des programmes financés par des fonds étrangers (dont le programme PRIMA), ce qui provoque un désengagement des pays riverains. Ainsi, un désaccord entre les pays riverains sur le financement d’une commission de bassin partagée ont conduit à un blocage politique depuis 2012.
La coopération dans le bassin est basée sur un montage institutionnel complexe, constitué de nombreux organes agissant à des échelles variées, aux compétences et territoires parfois redondants. Dans cette nébuleuse, certains acteurs jouent des rôles stratégiques, le parc national Kruger, comme chien de garde, agit comme tampon et permet de garantir un certain débit au Mozambique. De par sa pertinence et sa crédibilité scientifique, c’est le seul acteur capable d’élargir les problématiques transfrontalières aux aspects écologiques. De même, les industries sucrières et les bailleurs de fond influencent fortement la gestion des ressources en eau.
La gestion de l’eau dans le bassin versant est guidée par une vision ingénieriste et l’idéologie hégémonique néolibérale. A travers cette approche, les ressources en eau sont utilisées pour des usages à forte valeur ajoutée au détriment des populations locales, marginalisées, qui dépendent de ces ressources pour leurs moyens de subsistance. Les principes néolibéraux véhiculés notamment par la GIRE, tels que la tarification de l’eau et l’introduction de systèmes de permis, ont engendré une répartition inéquitable des ressources en eau.
La majorité de l’eau dans le bassin est consommée pour produire des biens et services qui bénéficient à des élites déjà installées, contribuant ainsi à accentuer les injustices sociales et environnementales. Ce phénomène s’accompagne d’une détérioration de la qualité des ressources en eau et des milieux dont l’ampleur demeure inconnue et peu étudiée. Le déni de la pénurie en eau et la capacité d’adaptation de l’Afrique du Sud qui souhaite accroître et diversifier ses réserves en eau, renforcent le processus de fermeture du bassin versant. L’accès aux ressources en eau et au foncier marque l’apparition de jeux d’acteurs influençant les prises de décision en dehors des arènes officielles. Les secteurs d’activité prioritaires (secteurs miniers, forestiers et agricoles) semblent interférer dans la gouvernance de l’eau.
Pêcheur sur l’Incomati à Manhiça (Mozambique)